« La pandémie a rendu clair le fait que nous avions besoin d’une voix dans les décisions que prenait l’entreprise »
William Westlake est barista chez Starbucks à Buffalo dans l'État de New York. Il est membre du comité local d’organisation de Starbucks Workers United (SBU), un syndicat nouvellement créé pour défendre les droits des travailleurs de la célèbre chaîne de café américaine. Entre menaces contre les syndiqués et déconnexion entre dirigeants et employés, il raconte le combat que les partenaires, terme utilisé par Starbucks pour désigner ses salariés, mènent pour s’organiser et parler d’une même voix. À ce jour, ce sont 150 cafés, pour 4 000 employés, qui ont déposé une demande pour organiser une élection. Sept ont eu lieu et SBU en a gagné six.

William Westlake (à droite) et Jaz Brisack (à gauche), baristas chez Starbucks et à l'origine de la campagne ayant mené à l'élection d'un syndicat dans leur café de Buffalo, dans l'Etat de New-York. (Crédit photo : Richard Bensinger)
La création du syndicat Starbucks Workers United est très récente, est-elle une conséquence de la pandémie de Covid-19 et du traitement des salariés de Starbucks par leur employeur pendant cette période ?
Je pense que la pandémie a rendu clair le fait que nous avions besoin d’une voix dans les décisions que prenait l’entreprise, notamment pour donner plus d’écho à nos inquiétudes concernant notre santé et notre sécurité. Il est vite devenu clair que nous devions aussi avoir notre mot à dire sur des sujets comme les salaires ou les avantages.
Quelle a été l’attitude des dirigeants de l'entreprise pendant la crise ?
Ils nous disaient qu’ils faisaient tout ce qu’ils pouvaient et qu’ils n’en feraient pas plus. À travers le syndicat, les travailleurs faisaient des suggestions sur des aspects pratiques et utiles pour assurer la sécurité de tous dans les magasins, comme le fait de fournir du matériel de protection et remplacer le personnel malade ou placé à l’isolement. Ils étaient réticents parce que ça allait leur coûter de l’argent. Sauf que c’est sur nos vies qu’ils essayaient de mettre un prix.
Que demandez-vous à Starbucks aujourd’hui ?
Nous demandons une augmentation annuelle liée au coût de la vie. Les prix ont beaucoup augmenté aux États-Unis ces dernières années, et cela ne s’est pas reflété dans les salaires. Il n’est pas rare ici de payer 1 200 dollars pour un appartement, mais l’année prochaine ça pourrait être 1 300, et 1 400 celle d’après. Pourtant, nous recevons toujours le même salaire. Nous voulons une augmentation annuelle indexée sur l’inflation.
Nous voulons également ne pas avoir à payer plusieurs fois pour les soins médicaux. Actuellement, le coût de l’assurance santé proposée par Starbucks est déduit de nos fiches de paie. En plus de cela, nous devons payer des frais supplémentaires pour les soins. Nous voulons que l’entreprise prenne en charge ces frais.
Nous voulons aussi que l’entreprise garantisse la somme qui nous revient à travers les pourboires. En moyenne, ils ne représentent qu'un dollar par heure. Nous réclamons à l’entreprise qu’elle nous garantisse 5,5 dollars de pourboire par heure.
À titre personnel, vous sentez-vous suffisamment protégé par l’assurance santé proposée par Starbucks ?
Je n’ai pas souscrit à cette assurance parce que ça retirerait une somme trop importante à ma fiche de paie, presque un tiers de celle-ci. Je suis éligible à Medicaid, l’assurance santé de l'État. Elle ne couvre pas grand-chose, mais je peux au moins aller chez le médecin quand c’est nécessaire.
Comment expliquez-vous le fait que la création d’un syndicat soit si tardive chez Starbucks ?
Historiquement, l’industrie des services n’est pas très syndiquée aux États-Unis. Parce que ce sont des jobs principalement effectués par des lycéens ou par des personnes qui n’en dépendent pas. Les salaires y sont plus bas que le salaire minimum. Dans certains États, il y a même un “sous-salaire” minimum pour les travailleurs des restaurants ou des fast-foods qui peut descendre jusqu’à 2 dollars de l’heure.
Il y a un contraste entre des secteurs historiquement syndiqués comme l’industrie automobile dans laquelle le salaire horaire est plus important. Ça n’est pas parce qu’ils travaillent beaucoup plus dur ou parce qu’ils sont plus formés. C’est parce que la défense des travailleurs est organisée depuis longtemps dans leur secteur. Nous commençons à voir la différence et ça ne va pas s’améliorer si on ne prend pas les choses en main. Personne ne l’avait fait avant et nous réussissons mieux que ce que l’on espérait.
Votre syndicat serait-il apparu sans les effets de la pandémie évoqués plus tôt ?
Je pense que nous y serions arrivés naturellement, mais la pandémie a mis en avant la déconnexion entre la direction de Starbucks et ceux qui travaillent dans les cafés. Ils ont toujours pris les décisions concernant nos salaires ou nos avantages sans nous consulter. La pandémie a rendu clair le peu d’attention qu’ils portent à ceux qui génèrent tous les bénéfices qu’ils gèrent.
Starbucks a déjà renvoyé des employés pour leur participation au processus électoral, notamment à Memphis dans le Tennessee, avez-vous été témoin d’autres cas ?
Ici, à Buffalo, deux personnes ont été virées. Pour la première, la direction a expliqué que ses disponibilités ne correspondaient pas aux attentes de l’entreprise et qu’en conséquence, ils n’allaient plus l’intégrer au planning. Le second, a été viré pour des petites infractions comme le fait d’être arrivé cinq minutes en retard.
Ce qu’il faut comprendre à propos de Memphis, c’est que c’est dans cette ville que Martin Luther King a été assassiné. Et cela alors qu’il parlait avec des employés de ménage dans le but de les aider à s’organiser pour défendre leurs droits. Les employés de ce café Starbucks ont lancé leur campagne pendant le Martin Luther King Day. Ils ont invité des journalistes dans le magasin et la direction y a vu une opportunité pour les virer. Ils ont fait ça parce qu’ils ont eu peur de la vitesse à laquelle nous nous organisions et parce qu’ils ont voulu nous ralentir. Résultat, non seulement ils ne nous ont pas ralentis mais la National Labor Relations Board (agence chargée de superviser les élections syndicales et d’enquêter sur les pratiques illégales dans les entreprises, ndlr) ne va pas laisser passer ce genre de comportements, surtout de la part d’une entreprise qui se dit progressiste.
Auriez-vous peur de recevoir un journaliste sur votre lieu de travail ?
Je ne pense pas. L’entreprise a fait de son mieux pour essayer de me faire peur mais ils n’y sont pas parvenus. Je crois qu’ils ont compris qu’ils étaient coincés avec moi maintenant.
Vous avez d’ailleurs été menacé par des membres de la direction de Starbucks…
Oui, ils m’ont fait quitter mon poste, me rendre dans une salle de conférence d’un hôtel au bout de la rue. Arrivé là-bas, trois managers gardaient la porte et six autres m’attendaient dans la salle. Je me suis assis et ils m’ont expliqué qu’avec la création du syndicat j’allais me retrouver sur une île, tout seul, avec personne pour m’aider. Que j’allais perdre mon assurance santé, que je ne pourrais plus demander de transfert vers un autre magasin. Ils m’ont même dit que je mettais l’entreprise en danger avec mon comportement. Ils ont essayé de pousser chaque employé à voter contre la création du syndicat et je pense qu’avec moi ils ont cru devoir aller jusqu’à cette réunion pour que je vote contre. C’était l’expérience la plus isolante et menaçante qu’ils aient pu imaginer. Nous avons déposé des éléments à la NLRB concernant cette situation et nous attendons une réponse. En tout, nous avons une vingtaine d’affaires en cours auprès de la NLRB.
Que risque Starbucks ?
Ils auront le choix de régler le cas avec le gouvernement, ce qui revient à reconnaître leur responsabilité, ou alors ils iront jusqu’au procès. Ce qu’ils risquent, c’est de nuire à leur image de marque, de faire du mal à leur réputation par leurs propres agissements, et Starbucks considère son image de marque comme quelque chose d’extrêmement important. Vous savez, nous voulons juste organiser des élections justes, que le système soit juste. L’entreprise a clairement indiqué qu’elle ne le souhaitait pas.
Des investisseurs ont appelé la direction de Starbucks à observer une position plus neutre vis-à-vis des élections, que pensez-vous de ce soutien ?
Nous accueillons tous ceux qui sont prêts à faire pression sur l’entreprise. Avec 45 autres partenaires, puisque c’est que comme ça que Starbucks appelle ses employés, nous avons rencontré le CEO, Kevin Johnson, pour lui faire signer les Fair Elections Principles, rédigés par le syndicat et réclamant des règles comme l’équité du temps de réunion entre le syndicat et l’entreprise ou l’égalité dans l’affichage. Ces principes ne sont pas particulièrement radicaux mais Starbucks a clairement fait savoir qu’elle ne signerait pas.
Etiez-vous déjà impliqué politiquement avant de rejoindre SBU ?
J’ai travaillé pour Elizabeth Warren (sénatrice démocrate du Massachusetts, ndlr) en 2020. J’ai toujours été assez politisé. Mais là, ça n’est pas à propos de politique, c’est simplement vouloir aider les gens à se défendre. Ma mère a aussi travaillé dans cette industrie avant d’avoir un cancer. Elle n’avait pas d’assurance santé et a dépensé toutes ses économies pour ce cancer, dont elle est morte. Je pense que les gens qui travaillent dur toute leur vie ne devraient pas avoir à vivre ça.
Je pense que beaucoup d’Américains ont connu des histoires similaires. Le temps est venu d’améliorer la situation des employés de Starbucks. Pas seulement pour nous mais aussi pour ceux qui travailleront pour l’entreprise dans le futur.
Corentin Mittet-Magnan